IL FAUT REDONNER DU SOUFFLE À L’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL POUR REFAIRE NATION

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Tribune. Au centre de tous les programmes économiques électoraux, la réindustrialisation du pays s’impose après plus de trente ans d’un choix politique d’ultratertiarisation de la société et de dumping social.

Pour relocaliser ses usines, la France doit pouvoir compter sur une élévation de qualification des salariés. Or la proportion d’ouvriers qualifiés a fondu comme peau de chagrin, au profit de nouveaux emplois liés aux plates-formes internationales. Souvent autoentrepreneurs, rarement salariés. Qu’importe ! L’ouvrier d’antan, relégué aux oubliettes, erre dans un nouveau larbinat dantesque à peine grimé. La réindustrialisation de la France passera par des choix politiques clairement identifiés assurant aux entreprises les conditions de leur réinstallation. Assurant à chaque jeune une citoyenneté libre et éclairée.

De qui les entreprises ont-elles besoin ? D’une main-d’œuvre qualifiée, compétente, diplômée dans des métiers indispensables qui ont été sacrifiés depuis tant de décennies – les confinements les ont rendus visibles. Difficile d’avoir des cols bleus quand l’ambition du pays n’était d’avoir que des cols blancs ! Un rêve altéré par la réalité économique pour de nombreux jeunes et leur famille.

Un tout-apprentissage illusoire

La mobilisation des « gilets jaunes » donne encore aux « expertologues » des heures d’analyse quand des démissions-fleuves représentent une nouvelle forme de mobilisation : depuis le premier confinement, de nombreux salariés ont démissionné dans l’hôtellerie-restauration. Des négociations ont abouti, en décembre 2021, à plus de 16 % d’augmentation de salaire et l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) sait qu’elle devra encore améliorer les conditions de travail pour pérenniser ses emplois.

Face aux problèmes de recrutement, les grands groupes s’essayent à un système de formations maison prêtes à l’emploi. Ce ne sont pas ces structures palliatives, éparpillées façon puzzle au gré d’écoles d’entreprise, qui endigueront la pénurie de salariés qualifiés qui frappe tant de domaines, dont le BTP, mais aussi les métiers du soin à la personne… Ces métiers qu’on qualifiait de « manuels » ont été rendus inattractifs par des entreprises qui aujourd’hui les pleurent et, avec elles, tout le pays.

Depuis des décennies, les gouvernements successifs ont présenté l’apprentissage comme le remède miracle, jusqu’à aujourd’hui où l’exécutif peut se targuer d’être à l’origine d’une pépinière de plus de 700 000 apprentis. Une croissance qui sonne faux et qui s’inscrit dans des politiques usées depuis Jacques Chaban-Delmas dès… 1972. Ce sont à ces jeunes de moins de 20 ans qu’il faut proposer des véritables solutions appropriées, pour leur avenir et celui de l’ensemble de la nation. L’idée du tout-apprentissage est illusoire, galvaudée.

A défaut d’une récente ferveur pour l’apprentissage, ce sont surtout d’anciens contrats de qualification qui ont fait mécaniquement grimper les chiffres. Par ailleurs, il s’agit essentiellement d’un apprentissage de jeunes issus de l’enseignement supérieur, qui terminent leurs parcours de fin d’études et enrichissent leur CV : master 2, école d’ingénieurs, licence pro et BTS. C’est-à-dire les super-techniciens de demain, ni les ouvriers ni les employés qualifiés dont tout le pays a et aura besoin ! On est loin de répondre à la mise en œuvre d’une politique globale de l’emploi et de réindustrialisation, dans tous les secteurs de l’économie et du social…

Une politique entière à revoir

Dans les métiers traditionnels (boucherie, ébénisterie, cordonnerie…), le vivier de l’apprentissage concerne le plus souvent les enfants d’artisans et de commerçants dans l’optique d’une transmission familiale. Dans les autres métiers, les entreprises embauchent moins facilement ces jeunes de 15 à 17 ans. En trois décennies, leur profil a considérablement changé : fin des redoublements, difficultés accrues à la sortie du collège, non-maîtrise du fameux « socle commun de connaissances » pour une majorité d’entre eux. A 15 ou 16 ans, les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas armés pour être déjà recrutés – pas assez mûrs, sans réseau et souvent trop en difficulté pour les entreprises. La fonction de l’apprentissage n’est pas d’être un essuie-tout absorbant le trop-plein de jeunes en déshérence scolaire et dont le système ne veut plus s’occuper malgré des solutions de relégation ; c’est déjà trop tard !

Toute la politique de la formation professionnelle est à revoir, de la formation initiale à la formation continue. Elle passe par un vrai débat sur le rôle de l’école, une refonte du collège et s’appuiera sur les lycées professionnels. Le collège unique, depuis la réforme Haby de 1975, a nivelé les objectifs autour d’un seul axe : la culture de l’abstraction de type universitaire, aseptisée. Quid des autres talents ? Ces pépites d’ingéniosité qui ne demandent qu’à être repérées, encouragées, à s’exprimer et à inventer notre vie de demain. Une mission sur laquelle le collège est à même de se positionner, en amont, pour rompre le cercle vicieux de l’échec depuis trop longtemps supporté, et s’engager autour d’actes forts : passer d’un « collège unique » à un « collège pour tous » en développant, pour tous, dès la 6e, la découverte de tous les métiers, avec une initiation à la micro-économie, celle qui fait le quotidien des commerçants, des artisans, des entreprises qui entourent le foyer familial ; sans attendre, remédier prioritairement aux difficultés de lecture, d’écriture, de calcul et de repérages temporel et géographique, selon des pédagogies innovantes pour assurer l’accès de tous aux fondements d’un « socle culturel commun » ; former, accompagner, dans un continuum long, à l’orientation pour qu’en fin de 3e, il n’y ait plus que des choix sans défaut ! Soit, passer du « socle de connaissances minimum » à une solide culture commune. Avec l’école, dans l’école, c’est possible !

Fin des orientations par défaut

Parallèlement, valoriser et développer l’enseignement professionnel constituent une priorité d’action pour donner une réelle première chance de formation plutôt qu’un recours à un labyrinthe de mesures de rattrapage. Le système scolaire exclut encore plus de 100 000 jeunes chaque année sans aucun diplôme. L’objectif des 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat n’a été possible que grâce au baccalauréat professionnel, créé en 1985.

Aucun jeune ne doit quitter l’école sans au minimum un CAP, diplôme national, reconnu par les conventions collectives. Il devrait leur être proposé, au plus vite, d’entrer en lycées professionnels pour acquérir ce sésame en un an ouvrant sur une réelle insertion, un emploi qualifié recherché par toutes les entreprises, et par là même devenir des citoyens insérés. Une formation et un diplôme favorisent de fait de meilleurs salaires et un meilleur sentiment d’appartenance à la nation.

Le lycée professionnel n’a que trop souffert d’être le réceptacle de jeunes orientés par défaut comme sanction à leurs grandes difficultés… Faut-il imaginer Sisyphe heureux ? Oui, des résultats encourageants et un épanouissement personnel sont possibles s’il est accordé aux enfants, futurs salariés et citoyens, les moyens d’exploiter leurs compétences, de donner un sens à leur implication et de favoriser leurs appétences à créer les conditions de leur réussite. Les professeurs de lycée professionnel savent faire. Ils ont l’expérience, la connaissance de l’industrie, des technologies des métiers. Véritables professionnels de l’éducation et des métiers, ils sont les derniers hussards noirs de la République, qui doit les reconnaître !

L’enjeu est primordial : redonner du souffle à l’école qui donne sa chance à chacun pour « refaire nation », ce « vouloir vivre ensemble » cher à Ernest Renan qui fédère notre société dans toute sa diversité territoriale au sein de notre République. Bref, pour refaire France !

Pascal VIVIER (secrétaire général du SNETAA-FO)