Les enseignants, échaudés par cinq années de Jean-Michel Blanquer, sont satisfaits de constater une rupture dans le choix de l’historien nommé rue de Grenelle, mais n’oublient pas qu’il sera chargé d’appliquer la politique libérale d’Emmanuel Macron.
Ses «premières pensées» sont allées aux professeurs. Pap Ndiaye, le nouveau ministre de l’Education nationale, a démarré son discours de passation, vendredi, en évoquant Samuel Paty, son «collègue historien», avant de saluer«le monde des enseignants, qui est le [sien] depuis toujours». Le symbole est fort. Après cinq années d’un Jean-Michel Blanquer méprisant la profession, le nouveau locataire de la rue de Grenelle a voulu marquer sa volonté d’assainir les relations avec ses quelque 900 000 agents.
Le choix-même de ce professeur des universités spécialiste des minorités, qui voit dans les accusations d’«islamo-gauchisme» et de «wokisme» des manipulations idéologiques, suffit à marquer la rupture avec son prédécesseur. «Les publications de Pap Ndiaye donnent une autre lecture de la transformation de la société et de la manière dont il faut analyser les enjeux liés au racisme et aux discriminations, salue Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen-CFDT. En tant que directeur de la cité de l’immigration [le musée de l’Histoire de l’immigration, à Paris, ndlr], il a eu un discours très volontariste sur l’ouverture des possibles pour tous les enfants, quelle que soit leur origine sociale ou culturelle. Son passage là-bas peut être intéressant.»
Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa-FO, majoritaire chez les enseignants de lycée professionnel, est carrément emballé : «J’apprécie qu’il soit une tête bien pleine. Le fait qu’il soit normalien m’enchante beaucoup. Je suis très optimiste, je ne serai pas là au coin du bois pour regarder la première faute.»
«Nomination pleine de paradoxes»
Ses collègues se montrent toutefois plus prudents. «L’Education nationale ne se gouverne pas uniquement à coups de symboles, il va surtout falloir des actes, très rapidement. Pap Ndiaye arrive dans un contexte où l’Education nationale se porte très mal», avertit Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, syndicat majoritaire des profs de collèges et lycées. Le ministre déboule en effet en pleine crise du recrutement et devra très vite trouver un moyen d’avoir suffisamment d’enseignants devant les élèves à la rentrée prochaine et, sur le plus long terme, de revaloriser les salaires et d’améliorer les conditions de travail.
«On ne va pas lui faire de procès d’intention, mais nous avons à connaître sa feuille de route parce que c’est le ministre du gouvernement d’Elisabeth Borne, choisi par Emmanuel Macron», souligne Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-Unsa. «C’est une nomination symbolique mais aussi pleine de paradoxes. Ce n’est pas forcément le profil qui semble Macron compatible, vu les projets d’Emmanuel Macron, qui consistent en un affaiblissement des services publics d’éducation et un creusement des inégalités. On se demande un peu ce que Pap Ndiaye peut venir faire là au regard de son parcours et de son CV», s’interroge Sophie Vénétitay.
«Il y a une urgence qui est sociale : est-ce qu’on montre vraiment qu’on va s’occuper des invisibles et des enfants des invisibles ? interpelle Pascal Vivier. Sur les vingt dernières années, ceux qui se sont réclamés d’une certaine gauche ont toujours méprisé l’enseignement professionnel et les invisibles. J’espère qu’il sera d’une vraie gauche humaniste, sincère, véritable et républicaine.»
Arbitrages budgétaires
Parce qu’il n’est issu ni du monde politique, ni de l’Education nationale, le profil de Pap Ndiaye interroge. «Nous sommes préoccupés par le fait que ce soit quelqu’un qui vienne de la société civile et n’ait pas tous les relais et la place à l’intérieur [du gouvernement] pour obtenir des arbitrages, notamment budgétaires», indique Stéphane Crochet. «Il ne connaît très certainement pas grand-chose à l’école primaire, mais j’espère qu’il va s’entourer de gens qui connaissent le terrain», plaide quant à elle Guislaine David, co-secrétaire générale du SnuiPP-FSU, majoritaire dans le premier degré. «Ça va beaucoup se jouer sur la façon dont il va s’entourer dans son cabinet et dans les directions du ministère», appuie Catherine Nave-Bekhti.
Vu le contexte plombé dans lequel il prend ses fonctions, «on va tellement lui mettre d’attentes sur le dos que, pour un seul homme, ça fait beaucoup, estime Pascal Vivier. J’espère qu’il a conscience qu’il ne peut que décevoir et qu’à ce titre il saura choisir ses vraies orientations, ses vrais alliés et une politique claire.» Une politique plus à gauche que celle promise par le chef de l’Etat.