Par Violaine MORIN © Le Monde
Le président Macron veut s’attaquer au lycée professionnel, dont trop d’élèves peinent à s’insérer après le diplôme. Un chantier de grande ampleur qui inquiète déjà sur le terrain.
Emmanuel Macron va-t-il réussir à mener une réforme du lycée professionnel souvent entamée, jamais réussie ? En déplacement au lycée Eric-Tabarly des Sables-d’Olonne (Vendée), le 13 septembre, le chef de l’Etat a de nouveau détaillé, devant un parterre d’enseignants et d’entrepreneurs locaux, les axes de transformation de cette voie jugée trop peu « insérante ».
En présence de la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels, Carole Grandjean, et du ministre de l’éducation, Pap Ndiaye, le président a rappelé qu’il souhaitait une meilleure orientation des élèves du collège – avec la création de « demi-journées avenir » dès la 5e, consacrées à la découverte des métiers. Il veut instaurer une augmentation du nombre de semaines de stage pour les lycéens professionnels – dont le temps en entreprise sera désormais rémunéré – et la plus forte présence des acteurs de l’entreprise au sein de ces établissements. Enfin, la carte des formations devra être adaptée aux besoins des entreprises locales, en acceptant, le cas échéant, de fermer les filières « non insérantes » et de réorienter les enseignants vers d’autres disciplines plus porteuses.
Cette réforme passera, a insisté le chef de l’Etat, par une nouvelle méthode désormais bien connue des acteurs éducatifs, à qui elle a été présentée à plusieurs reprises depuis le printemps : des débats sur le terrain, qui réuniront l’ensemble des acteurs locaux pour proposer des solutions – déclinaison, dans le champ éducatif et à l’échelle locale, du Conseil national de la refondation lancé le 8 septembre. « Il ne faut pas s’interdire que cette réforme entre en vigueur de manière très progressive », a précisé M. Macron, promettant « d’évaluer, de regarder ce qui marche, et ce qui marche moins bien ».
Séquencer les stages
Les grandes lignes de ce chantier ayant été posées avant même la rentrée scolaire, le déplacement présidentiel aux Sables-d’Olonne peine à résoudre les questions qu’il pose. L’augmentation de la période de stage, désormais rémunérée, doit se faire en imaginant « une meilleure organisation du temps d’apprentissage scolaire », a détaillé le locataire de l’Elysée au lycée Tabarly, s’inquiétant des classes parfois trop chargées dans la voie professionnelle, qui accueille de nombreux élèves en difficulté. Le président propose ainsi de séquencer les stages – de façon que les élèves ne soient pas tous en entreprise en même temps – pour avoir des classes dédoublées dans les enseignements académiques. Une idée à « expérimenter », a avancé M. Macron.
« Concrètement, on fait comment ? », s’agace Pascal Vivier, du Snetaa-FO. « Les enseignants ont l’obligation de suivre les élèves pendant les stages, c’est inscrit dans nos statuts. C’est en moyenne trois déplacements par élève à chaque fois », détaille-t-il. Les modalités d’organisation des semaines en entreprise et leur articulation avec le temps passé au lycée seront l’un des objets de la concertation à venir, assure-t-on à l’Elysée. « Ils n’arrivent pas à détailler la manière dont ça marchera, parce que ça ne marche pas, dénonce M. Vivier. Les enseignants l’ont bien compris, et cela génère de l’angoisse. » De son côté, la FSU s’inquiète déjà, dans un communiqué diffusé à l’issue de la visite présidentielle aux Sables-d’Olonne, que « les volumes disciplinaires dédiés aux enseignements généraux [soient] décidés localement ».
L’autre difficulté concerne l’adaptation des formations au bassin d’emploi. Le président l’a lui-même admis, le lycée Tabarly est comme un « appartement témoin » : un établissement de pointe, doté de formations insérantes et valorisées (dont la chaudronnerie et la maintenance nautique), dans une région qui a la chance de ne pas être « sinistrée », selon le mot d’Emmanuel Macron.
Une refonte entamée sous Blanquer
Mais, dans de nombreux territoires, tel n’est pas le cas, et l’adaptation de l’offre à un bassin d’emploi plus complexe peut se révéler une gageure. D’autant que cette refonte des formations a commencé sous le précédent quinquennat, comme le rappellent volontiers les syndicalistes. « Jean-Michel Blanquer a déjà fermé des parcours gestion-administration, remplacés par des choses qui n’insèrent pas beaucoup mieux », observe Pascal Vivier. « Fermer des formations, d’accord, mais pour les remplacer par quoi ? 60 % des lycéens professionnels sont dans des filières tertiaires, qui recrutent au niveau bac +2. Ce sont les savoirs fondamentaux qu’il faut renforcer, pour que nos jeunes s’insèrent dans l’enseignement supérieur. »
Les synergies avec les entreprises locales, parfaitement illustrées aux Sables-d’Olonne par la prise de parole d’un entrepreneur du secteur nautique, sont également plus faciles à mettre en place dans les petites villes, comme l’a démontré Vincent Troger, chercheur associé au centre de recherches éducation de Nantes. « Dans les villes moyennes, les lycées professionnels fonctionnent bien, car ils sont entourés de petites entreprises qui embauchent, et les familles ne souffrent pas du chômage, rappelle le chercheur. Il y a tout un contexte que vous ne retrouverez pas dans les banlieues des grandes agglomérations. »
L’ampleur du chantier à venir inquiète également les chefs d’établissement, qui disent n’avoir reçu aucune feuille de route pour lancer les concertations dans les lycées. Car tout cela pose « la question de l’organisation générale de l’année scolaire, du statut des enseignants, de la place de l’enseignement général et de l’évolution des volumes horaires des disciplines », a énuméré le secrétaire général du SNPDEN-UNSA, Bruno Bobkiewicz, en marge d’une conférence de presse, le 13 septembre. « Tout cela n’est à ce stade pas traité. »