Quand les professeurs de lycée professionnel sont les nouveaux hussards de la République.
Un nouveau site internet « Inserjeunes » a été lancé, conjointement élaboré par la DARES (ministère du Travail) et la DEPP (ministère de l’Éducation). Il fait suite aux obligations liées à la loi Pénicaud ( loi dite pour la liberté de choisir son avenir professionnel). Ce site web aurait pour but d’apporter une aide pour l’orientation des jeunes en enseignement professionnel scolaire ou en apprentissage.
Au-delà de la novlangue (on parlait dans un temps pas si lointain de verbiage) qui empêche tout élève de troisième « non-aidé » par sa famille – elle-même souvent non-initiée ni à de tels jargons ni aux outils numériques – de s’y retrouver, on observera in fine que ce que porte le SNETAA depuis tant d’années sur l’apprentissage est… VRAI.
Le mandat historique du SNETAA sur l’apprentissage n’a rien de dogmatique, il repose sur des principes d’observation du terrain, des réalités sociologiques dans nos régions, des principes entrepreneuriaux et notre conception de la laïcité. Les jeunes apprentis ne sont pas les mêmes jeunes que ceux qui sont en lycée professionnel : les premiers sont souvent issus d’une classe moyenne liée au petit artisanat ou au commerce de proximité, ils sont sociologiquement différents. Car, pour être apprenti, il faut avoir été « sélectionné » ; ces jeunes sont souvent nés de parents qui ont été eux-mêmes apprentis et, généralement, « correctement armés » scolairement.
Les élites qui portent la pensée unique depuis 40 ans ont réussi à faire rêver un grand nombre de jeunes de 13 à 15 ans pour devenir apprentis. Sauf qu’entre rêve et réalité, il y a un monde…
Ces élites, depuis 1972, ont offert à peu de frais une espérance portée en religion auprès des élèves de fin de troisième ; leur credo d’une réussite d’insertion par l’apprentissage est, pour les jeunes « hors-réseau », un piètre mirage : s’ils parviennent à trouver un maître d’apprentissage (donc un contrat de travail en tant que salarié), ils sont très vite rejetés. Le taux de rupture des contrats est de 33 % au bout de 3 mois. Pas besoin d’être prof de maths-sciences pour comprendre que c’est une moyenne… et que parmi ces 33 %, 90 % sont des jeunes « hors-réseau » (comprendre : avec un niveau scolaire correct, être un garçon issu de parents socialement intégrés entre autres). Que dire quand vous êtes une fille ? Que dire quand le jeune est issu de l’immigration ? Que dire lorsque le jeune est en situation de handicap ? Dans ces cas, les chances de réussir leur apprentissage frôlent le zéro. Car en apprentissage, oui, on trie !
La réussite républicaine qui permet à chacun de réussir par l’effort, le travail, quels que soient son origine, son sexe, qu’on soit riche ou pauvre, bref cette égalité républicaine (qui n’a rien à voir avec « l’égalitarisme ») et qui s’appuie sur la « méritocratie républicaine », c’est l’École qui l’assure. Pas l’apprentissage à cet âge ! (« Braves Gens », nous ne mélangeons pas des patates et des carottes. Qu’y a-t-il de commun entre un apprenti en seconde et un apprenti du supérieur en master si ce n’est quasiment…rien ?).
Redire tout cela est fort grossier, je le concède ! Comme je sais que l’idéologie qui a porté la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » est, elle, vulgaire.
Mme Pénicaud, feue ministre du Travail, a porté une loi idéologique contre l’enseignement professionnel initial public (3 députés LaRem m’ont confirmé ses propos contre les lycées professionnels) mais aussi contre une forme d’apprentissage « traditionnel » qui connaissait ses réussites dans certains CFA lesquels, on se le dise, n’y survivront pas longtemps.
Ce coup de pied donné par cette loi a créé un nouveau machin (France compétences) qui, quand on y regarde bien, décide, au final, ce qu’est un diplôme reconnu (donc un diplôme national) et valide a tour de bras un nombre affolant de qualifications et de titres dispensés quasi exclusivement par des boites privées en concurrence de l’Éducation nationale. On a déjà connu cela dans l’enseignement supérieur avec la concurrence « faussée et déloyale » avec la profusion d’écoles de commerce, machines à cash, qui proposent leurs propres cursus et diplômes aux jeunes qui, souvent, n’ont pas réussi à entrer en Master 2 à l’université ou dans une grande école « traditionnelle » qui sélectionne encore par le mérite républicain….
Cette loi qui a décidé de financer l’apprentissage à « la tête de pipe » pousse les petites structures de CFA, présentes dans des régions dites « rurales-faibles », à crever d’une mort douce mais certaine.
S’il fallait sauver le système mis en place (l’apprentissage), un dernier rapport des inspecteurs généraux des finances prévoie la nécessité de trouver quelques…3,5 milliards d’euros pour combler le déficit prévisionnel.
Cette loi avait su trouver de grands-acteurs pour démontrer combien elle allait révolutionner l’apprentissage et la formation continue des salariés. Bien sûr, ceux qui s’y sont opposés étaient d’affreux rétrogrades, corporatistes, idéologues. Il ne manquait plus que populistes ou fascistes et la messe était dite.
Gageons que personne ne reconnaîtra l’échec de cette loi, la gamelle est trop importante ; elle en nourrit du monde à coup de millions… souvent sur le dos de la formation continue due aux salariés.
L’ouverture de ce site web est une des dernières volontés de cette loi.
La ministre, feue conseillère de cabinet de Martine Aubry, avait, elle aussi été qualifiée de « right woman at the right place » au moment de sa nomination… Et pourtant 3,5 milliards de déficit annoncés !
Ce déficit abyssal qui justifiera encore que l’enseignement professionnel public devrait se serrer la ceinture quand on est arrivé à l’os. Mais cette loi est tellement géniale que la ministre, depuis le dernier remaniement, a été nommée « représentante permanente de la France auprès de l’OCDE ».
« Le nouveau monde » ? C’est l’ancien monde, en pire, non ?
3,5 milliards d’euros… quand notre ministre de l’Éducation nationale cherche de 300 à 500 millions par an pour « revaloriser la profession enseignante ». On fait le pari que Bercy ne permettra pas cette grossièreté ? Quand il va falloir 7 fois plus pour combler le trou de la loi Pénicaud. Allez, j’engage les paris !
Bercy, Muriel Pénicaud… toutes ces élites qui occupent durant l’ensemble de leur carrière les postes les plus prestigieux, dans un entre-soi qu’on devrait s’interdire de nommer, cela me fait penser aux drames à Sciences Po…C’est quoi cette grossière question encore ?… Je me souviens m’être fait vertement taclé, par média interposé, par Richard Descoings, alors directeur de Sciences Po Paris, chargé en 2009 de préparer une nouvelle réforme du lycée : il avait balayé d’un revers de la main la « méritocratie républicaine », celle de l’École, celle de Jules Ferry. Mort dans des conditions « romanesques » à New-York (R.I.P.), je ne peux éviter aujourd’hui de penser à lui au moment de l’affaire « Duhamel », de la démission de M. Mion, du très prestigieux cercle Le Siècle (club « élitiste »), à tous ces gens qui décident ce qui est bien pour nous sans nous connaître.
Je pense à tous ces gens qui décident ce qui est bien pour les jeunes sans connaître leur diversité. Je pense à tous ces gens aux morales variables qui savent mieux pour nous ce qui est bon pour nous. Ces « élites » qui ont fait dégringoler la France dans les évaluations internationales (PISA).
Ces « élites » qui nous amènent à ce sentiment de déclassement réel, disons le, au déclin.
Je crois à la République. Je crois en ses valeurs. Je crois en la démocratie. Je crois aux élites républicaines. Je crois aux « Braves gens » ; je crois tellement en eux que mon optimisme est sans faille : l’apprentissage pour les jeunes qui manquent d’école, l’apprentissage pour les jeunes qui veulent s’émanciper, l’apprentissage qui ne discrimine pas, je vous le dis : quand bien même les déclarations de Mme Borne, successeur de Mme Pénicaud, font état d’un bilan triomphaliste de l’apprentissage, les lycées professionnels ont de l’avenir ! Un bel avenir. Car ce sont les seuls qui ne « trient pas ».
Les entreprises n’ont jamais été un lieu de remédiation de l’École. L’entreprise embauche qui elle veut avec ses critères subjectifs liés au moment présent ; je ne lui en tiens pas rigueur car l’entreprise, dans le système d’économie de marché, n’a jamais rien de social. « L’entreprise sociale » n’existe pas. Seule la République sociale existe. Sa colonne vertébrale est l’École ! Hannah Arendt disait : « C’est justement pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l’éducation doit être conservatrice. » 1 C’est vrai !
Alors, vous, Professeurs de Lycée professionnel, ne vous en faites pas trop, notre École a de l’avenir. Vous n’êtes pas des prolétaires de l’enseignement mais l’élite de l’enseignement. Nous sommes sous-payés, c’est vrai et souvent taxés des pires maux alors que les PLP font un travail extraordinaire pour les jeunes que la Nation nous confie. Extraordinaire, oui ! Cette vérité doit, dans toute économie de marché, trouver reconnaissance en bas de la fiche de paie.
D’abord, il faudrait 65 millions d’euros pour déjà valoriser nos salaires de quelques 100 € par mois ; ça ne serait pas rien comme premier signe et ça serait un sacré encouragement ! Et ensuite, mettre nos salaires à niveau avec + 500 € par mois pour chacun. Ce serait un vrai effet « whaouuuuuu » ! Enfin une reconnaissance qui permettrait, sur cette base, de discuter dans le cadre d’un contrat « gagnant-gagnant ». Mais là, sûrement que je rêve !
Les élites, experts qui supplantent les politiques en décideront autrement. Saint-simonisme oblige ! Heureusement, dans toutes les démocraties, le pouvoir est dans les mains non pas d’une élite auto-proclamée et d’un mandarinat mais des « braves gens ».
Alors, PLP, CPE, personnels de l’enseignement professionnel public et laïque, nous allons continuer à porter votre voix, en toute indépendance, à mener le combat pour le maintien d’une École républicaine, laïque jusqu’au bout des ongles, émancipatrice du citoyen et du travailleur en assurant à chaque jeune l’égalité républicaine.
Vive les PLP, l’enseignement professionnel, public et laïque et tous ses personnels !
Pascal vivier – secrétaire général du SNETAA-FO