La fermeture des établissements scolaires et l’entrée dans une période de confinement à durée indéterminée ont précipité les enseignants, les élèves et les familles vers la seule solution logique de repli qu’offrait l’outil numérique. Dès la première semaine, les débats se sont portés sur les problèmes de connexion aux plateformes officielles ainsi que sur les défauts d’équipement des foyers en matériel informatique et d’accès à internet.
Juste avant la crise, le ministre de l’Éducation nationale flattait ses troupes d’une transmutation séculaire du métier d’enseignant. La société évolue et ses attentes en matière d’éducation aussi. Les enseignants le savent et ont toujours fait leur possible pour rester dans l’air du temps. Sauf qu’en ce moment, la situation sanitaire a quelque peu précipité le mouvement. Des ressources ont peu à peu émergé de toutes parts (sites académiques, audiovisuel, acteurs culturels…). Des moyens d’échanger avec les élèves ont également dépassé le domaine réservé de l’institution scolaire (WhatsApp, réseaux sociaux…) sans garantie de protection des données. La présentation des cours et des devoirs ont exigé des enseignants qu’ils se dirigent vers l’utilisation de logiciels de présentation et d’organisation (cartes heuristiques) plus dynamiques. Car l’enjeu est non seulement de poursuivre la transmission des savoirs mais aussi de rompre la monotonie d’un travail de reclus et de prévenir le risque de décrochage scolaire.
Ce souci de renouvellement dans la gestion des pratiques en parallèle des avancées technologiques n’est pas nouveau : du stencil à la photocop’ couleur, du rétro au vidéoprojecteur puis au TNI, du lecteur cassette au labo de langue… Une fois les techniques assimilées, le travail de l’enseignant peut évoluer vers plus de confort, de souplesse, d’adaptation de ses séquences pédagogiques et vers plus de réactivité face à la progression de ses élèves. Mais cela demande du temps et un minimum de matériel !
Les maisons d’édition de manuels scolaires se sont livrées à une concurrence acharnée pour proposer des cd/dvd en annexes de leurs ouvrages « papier », puis des ressources en ligne pour les établissements prescripteurs. La course au numérique dans les établissements s’engage allègrement dans cette voie de la concurrence. Et déjà des sociétés de logiciels prennent l’occasion pour relancer, par l’intermédiaire des rectorats et DDF, des formations à leurs produits. Le risque tend vers l’usage exclusif de logiciels et de matériels que le seul lien d’un contrat commercial justifierait avec les établissements. Cette expérience, nous la connaissons déjà avec Microsoft et l’accès gratuit à sa suite, ouverte pendant un temps à la fin des années 2000. Certains établissements peuvent se permettre de financer l’activation des produits sur l’ensemble de leur parc informatique mais pas tous ! Le professeur qui change d’établissement (mutation, TZR…) peut ainsi avoir de désagréables surprises. Même si des « compatibilités » sont parfois possibles, qui ne s’est jamais retrouvé avec un décalage de présentation, un problème de lecture des données, au mieux retardant au pire bloquant une séance devant élèves ?
Qu’il existe une offre pléthorique sur le marché du numérique permettant à la clientèle un large choix, soit ! C’est la règle du marché. Mais l’École ne doit pas être un laboratoire de conditionnement des futurs clients. L’Éducation nationale doit pouvoir se doter d’outils « génériques », performants et accessibles, qui permettent, par la suite, aux élèves de poursuivre leur choix vers les offres du marché selon leurs moyens, selon leurs besoins personnels et professionnels.