La réforme amorcée en 2018 n’a pas dopé l’attractivité de la filière. Seule une « révolution de l’opinion » pourrait aujourd’hui la « glorifier », assurent les syndicats.
C’est un peu l’arbre qui cache la forêt. La crise du coronavirus a mis un coup de projecteur sur des métiers de l’ombre, souvent difficiles et faiblement rémunérés : caissier, aide à domicile, agent d’entretien. Des « nouveaux héros », comme les a qualifiés Sophie Bellon, présidente du conseil d’administration de Sodexo dans une tribune publiée par Les Echos le 19 mai 2020, célébrés chaque soir, pendant des semaines, applaudis. En filigrane, la formation professionnelle et ces CAP ou bac pro qui forment aux métiers de service ou aux jobs industriels.
« S’il y a un peu de mieux, on observe encore un gros déficit d’image », affirme Mohamed Attia, délégué national à la voie professionnelle au SE-Unsa. « La filière reste encore trop souvent une orientation par défaut. On essaie toujours d’encourager un bon élève vers la voie générale. Si ça peut-être une filière scientifique, c’est encore mieux ! Il va encore falloir beaucoup de temps pour faire changer les choses, c’est culturel », poursuit le délégué syndical, enseignant au lycée Valentine-Labbé, à La Madeleine (Nord). « Le discours de la réussite par le costard cravate reste prédominant. Pour que les jeunes viennent à ces métiers, il faut les revaloriser tant en conditions de travail qu’en rémunération », soutient Axel Benoist, co-secrétaire général du SNUEP-FSU.
Une voie dévalorisée et inégalitaire
« Une révolution de l’opinion se travaille sur dix, quinze ou vingt ans. Glorifier la voie professionnelle dans les mots ne suffit pas », confirme Pascal Vivier, secrétaire général du SNETAA. Lui défend une culture commune et une valorisation des métiers dès le collège. « Nous devons remettre la micro-économie, ces professions que l’on côtoie tous les jours, au cœur de l’orientation. Nous ne devons pas casser le collège unique, mais encourager un collège pour tous. » Si la mise en lumière de porte-paroles, d’ambassadeurs dans certaines filières (cuisine, hôtellerie…) participent à la promotion de la voie professionnelle, elle n’est, pour les syndicats, pas représentative, et doit aujourd’hui s’étendre à toutes les filières. « Le bac AGOrA n’est, dans la plupart des cas, pas une orientation de passion. Et c’est une voie très inégalitaire : on retrouve souvent des jeunes filles, issues des mêmes classes sociales, et en échec scolaire. Nous devons défendre une vraie égalité femme-homme dans l’orientation », défend Pascal Vivier, qui souligne aussi la pénurie dont souffrent certains secteurs, à l’instar du transport routier. Des professions « qu’on n’a pas su valoriser, contrairement à des métiers d’art comme maroquinier ou costumier. »
L’apprentissage : un frein
Les syndicalistes appellent aujourd’hui à plus de moyens. Au SNUEP-FSU, Axel Benoist insiste : « l’enseignement professionnel public, c’est 1 280 emplois perdus depuis 2017, soit l’équivalent de 25 lycées professionnels publics fermés ». Ils appellent aussi à une meilleure visibilité de la filière, par le biais d’événements, comme l’université école-entreprise au service de la formation et de l’insertion professionnelle, qui s’est tenue à Poitiers en octobre dernier, ou via des campagnes de communication nationale. Ils militent enfin pour la rendre plus lisible : « Les parents sont paumés. On a des diplômes avec des acronymes invraisemblables, on ne sait plus à quels métiers ils mènent », reprend Pascal Vivier. « Les dispositifs sont verticalement imposés, sans étudier leur pertinence. Nos formations sont tellement multiples qu’elles ne nécessitent pas les mêmes besoins, les mêmes organisations. Un bac ASSP ou CTRM, ce n’est pas la même chose… », affirme Axel Benoist. Au SE-Unsa, Mohamed Attia regrette la forte concurrence de l’apprentissage. « La formation au lycée professionnel reste essentiellement sous statut scolaire, mais c’est aussi une forme d’alternance. Entre la seconde et la terminale, les élèves cumulent 22 semaines de stage ! » « Il y a une forte publicité autour de l’apprentissage. Quand on parle de formation professionnelle insérante, on ne voit que ça ; la voie professionnelle scolaire, elle, est éclipsée. Nous sommes les grands oubliés de l’Education nationale », assure, amer, Axel Benoist, dont le syndicat défend la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans.
Une passerelle vers l’emploi
Les syndicats, qui appellent à la diversité dans la filière, s’enthousiasment toutefois de constater que la voie professionnelle n’est plus perçue comme « un cul de sac » ou « une voie d’échec ». « Il nous faut encore insister : elle ne mène pas seulement à un métier, mais aussi à poursuivre des études courtes ou longues et à une insertion durable dans l’emploi », conclut Axel Benoist.