par Delphine Girard
L’École tient bon ! En ces temps de colères et d’angoisses mêlées, il est si important de le souligner : notre École républicaine et laïque, qui se donne pour ambition d’offrir également à tous les enfants de France un même accès à la libre connaissance, à la formation intellectuelle et technique, à l’initiation intrigante et tumultueuse aux relations sociales, humaines, amoureuses, jusqu’à présent tient courageusement ses engagements ; et c’est avec honneur que les enseignants, dans cette bataille qu’est devenue notre vie quotidienne, tiennent leur rang face à leurs élèves.
Retarder la fermeture des établissements, c’est bien sûr une gageure : cela ne signifie pas qu’un protocole sanitaire plus strict ne doit pas s’appliquer dans les collèges, que le dédoublement des classes ne doit pas être partout de rigueur dans les lycées, que professeurs et élèves ne doivent pas être mieux protégés, davantage testés, vaccinés dès que possible… Mais enfin malgré une deuxième vague de Covid-19 cet automne, malgré le traumatisme consécutif à l’assassinat abominable de Samuel Paty, à travers qui chacun de nous s’est senti menacé dans son statut même d’enseignant, malgré aujourd’hui les variants anglais, sud-africain, la récession, la fermeture de tous les lieux de socialisation… nous sommes là, debout devant nos classes, suffoquant sous nos masques, la voix éraillée, le visage irrité, et oui, nous poursuivons nos cours, car c’est notre devoir. Cela est beau.
Notre paye, malgré les griefs qu’on peut avoir à son sujet, a été intégralement préservée, notre machine éducative, tout imparfaite qu’elle soit, a été maintenue, dans la confusion certes, dans l’improvisation, il est vrai, dans une trop maigre concertation, sans doute : mon admiration n’est guère dirigée vers notre ministère…, mais vers notre système éducatif admirable, qui tant bien que mal, grâce à l’engagement de ses hussards de l’éducation, continue dans la crise à tout faire pour ne pas priver d’école des élèves qui sans cela se retrouveraient de nouveau séparés par des abysses d’injustice.
Car sans l’école, il n’y a plus d’égalité, plus de fraternité : seule demeure une liberté dont on ne sait plus que faire… Sans l’école, le hasard fait loi, l’arbitraire décide : un tel est né dans un beau pavillon connecté, qui suivra sans difficulté les cours à distance. Un chapitre incompris ? Pas grave, papa ou maman lui expliquera la leçon ce soir. Tel autre que les parents ne peuvent aider n’a pas cette chance, ni d’espace propre pour travailler d’ailleurs, souvent pas d’ordinateur personnel, pas de cadre non plus, et parfois pas même un vrai repas équilibré, comme à la cantine le midi. Sans l’école, l’« animal politique » que nous sommes, défini par essence comme un être social, destiné à vivre en communauté et à faire cité sous peine de se dénaturer, perd donc, prévient Aristote, son humanité : « s’ensauvage » en somme dirait certain ministre, aussi rien d’étonnant à ce que les violences augmentent également quand les écoles ferment …
Notre École tient bon : soyons-en fiers.