Souvent considérée comme secondaire dans les débats éducatifs, cette voie fait l’objet de nombreuses propositions à l’occasion de cette présidentielle, avec des philosophies différentes selon les candidats.
De mémoire d’enseignants, on n’avait jamais connu ça. Souvent ignoré voire méprisé, le lycée professionnel s’installe dans les débats de cette campagne présidentielle – peu nombreux, il est vrai – autour de l’éducation. Plusieurs candidats mettent en avant leurs propositions pour cette filière qui forme aujourd’hui 650 000 élèves, du CAP au bac pro. Emmanuel Macron, en premier lieu.
Le président candidat a remis l’accent sur « l’une des grandes réformes »qu’il veut porter s’il est réélu, lors de son déplacement à Dijon lundi 28 mars, pendant lequel il a visité le lycée polyvalent des Marcs d’Or. Parmi ses mesures-phares : augmenter de 50 % les périodes de stages en entreprise et rémunérer les lycéens dans ce cadre. Il en est convaincu : « Il faut remettre les entreprises, les débouchés professionnels au cœur de leur projet et donc ouvrir des filières là où il y a des besoins et en fermer quand il n’y en a pas. »
Le candidat La République en marche (LRM) à sa réélection n’est pas le seul à mettre le lycée professionnel sur la table. Valérie Pécresse (Les Républicains, LR) s’inscrit dans la même lignée, avec l’objectif d’en confier la gestion aux régions, pour « rapprocher les lycées professionnels des entreprises ».
Pour Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), ministre délégué à l’enseignement professionnel de 2000 à 2002, il faut avant tout ouvrir de nouvelles filières professionnelles pour augmenter le niveau de qualification des jeunes et répondre aux « besoins de la bifurcation écologique ». Le candidat LFI propose une « garantie autonomie » de 1 063 euros par mois pour les lycéens professionnels à partir de 16 ans. Yannick Jadot (Europe-Ecologie-Les Verts) se place aussi sur le terrain de la valorisation de la voie professionnelle, « indispensable à la transition » écologique.
Emplois non pourvus
Pourquoi une telle focalisation sur ces filières, souvent les grandes oubliées du système éducatif ? La crise des « gilets jaunes » puis la pandémie de Covid-19 ont mis en avant ces « premiers de corvée ». « Nos diplômés, aides à domicile, préparateurs en pharmacie, caissières, font partie des invisibles qui sont devenus visibles et ont même été enfin perçus comme essentiels ces dernières années », constate Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa-FO, le premier syndicat de l’enseignement professionnel. Les questions de la réindustrialisation de la France, d’une part, et des nouveaux métiers que doit faire émerger la transition écologique, d’autre part, pèsent aussi.
A plus court terme, les entreprises souffrent d’une pénurie de compétences dans l’industrie ou dans la restauration, par exemple, et se demandent comment pourvoir ces emplois. L’adéquation entre la carte des formations professionnelles et les offres d’emploi devient centrale. Aujourd’hui, six élèves en bac professionnel sur dix sont dans des spécialités qui mènent au secteur tertiaire. Seul un sur deux a trouvé un emploi un an après sa sortie de l’école, selon les dernières statistiques du ministère de l’éducation nationale de juillet 2021. A titre de comparaison, les apprentis de même niveau sont 69 % à avoir un emploi. Cette prime à l’apprentissage est mise en avant par Emmanuel Macron, qui veut rapprocher les deux systèmes.
De l’avis des spécialistes cependant, ce succès de l’apprentissage s’avère en trompe-l’œil. L’augmentation du nombre de ces contrats est portée par l’enseignement supérieur. Sur les 732 000 contrats d’apprentissage qui ont débuté en 2021 – soit une augmentation de 39 % en un an grâce aux nouvelles aides aux entreprises, plus de 60 % concernent des niveaux bac + 2 et plus. Les entreprises se montrent réticentes à embaucher en alternance des jeunes avant le bac. Et face à une demande croissante des familles pour ce type de cursus, les formations en apprentissage choisissent leurs élèves.
« La valorisation de l’apprentissage a conduit à une sélection drastique qui élimine de l’alternance les jeunes les plus paupérisés, les filles et les jeunes issus de l’immigration. Ces publics se retrouvent en lycées professionnels », analyse la sociologue Prisca Kergoat, autrice de De l’indocilité des jeunesses populaires. Apprenti.e.s et élèves de lycée professionnel (à paraître en avril chez La Dispute). La réforme du lycée professionnel engagée par Jean-Michel Blanquer a pour objectif d’ouvrir des formations en apprentissage dans tous ces établissements scolaires, mais elles restent encore marginales dans le système.
Problème d’attractivité
Cette promotion de l’apprentissage divise les candidats à l’élection présidentielle. Emmanuel Macron et Valérie Pécresse valorisent cette voie, au point que la candidate LR souhaite « 100 % d’alternance pour les formations en lycée professionnel d’ici à 2027 ». Jean-Luc Mélenchon ou Yannick Jadot se montrent davantage favorables à la voie scolaire. Le candidat LFI propose ainsi de supprimer les aides à l’apprentissage versées aux entreprises et suggère d’augmenter les heures d’enseignement général, « essentielles pour la formation de la conscience citoyenne ».
La manière de rendre attractive l’enseignement professionnel auprès des jeunes et de leurs familles fait partie des angles morts des propositions des candidats. Entre 1996 et 2021, les formations scolaires professionnelles ont perdu 100 000 élèves. Le rapport de la députée LRM des Hauts-de-Seine Céline Calvez et du chef cuisinier Régis Marcon le constatait en 2018 : « Dans bien des situations, l’attractivité d’une formation n’est pas liée au taux d’insertion des jeunes, mais à son pouvoir de séduction auprès des élèves. » Et quand l’orientation est subie, les décrochages sont plus nombreux. Un élève de lycée professionnel sur dix sort sans qualification du système éducatif.
© Sylvie Lecherbonnier