Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 27 décembre 2023.
Le recteur Daniel Bloch nous propose trois courtes tribunes pour cette période où la trève des confiseurs raréfie l’information. Nous publions bien volontiers aujourd’hui la deuxième (la première ici). Elles sont libres de droit et nos lecteurs peuvent les « forwarder » sans modération. Selon la formule consacrée, elles n’engagent que leur auteur.
S’il est un paramètre de gouvernance du « système éducatif » qui, depuis de nombreuses années, fait « consensus », c’est bien le redoublement. Pour tous, inutile. Des milliards d’économie potentielles pour les uns, pour les autres une inefficacité pédagogique avec, de surcroît, une souffrance pour les élèves ainsi discriminés.
Ce consensus a porté ses fruits : au cours des vingt -trois dernières années – l’an 2000 étant pris comme référence – les taux de redoublement se sont considérablement réduits. Ce dont témoigne l’âge des élèves auxquels sont attribués les principaux diplômes de l’enseignement secondaire. Si l’âge des bacheliers généraux ne s’est réduit que de six mois – ils ne redoublaient que rarement – cet âge, en moyenne aujourd’hui de dix-huit ans, traduit l’absence de redoublements, ou, plus précisément, l’existence de rares redoublements compensés par l’année d’avance de quelques bacheliers. L’âge des bacheliers technologiques s’est réduit très sensiblement, de 19,3 à 18,2 années. Ils sont aujourd’hui très majoritairement à l’heure, et ont donc 18 ans, c’est-à-dire sans avoir jamais redoublé. L’âge moyen des bacheliers professionnels est de 19 ans : nombreux sont encore ceux ayant redoublé, mais, là encore, la tendance est à la baisse : désormais les trois quarts des entrants en lycée professionnel afin de préparer un baccalauréat professionnel sont à l’heure contre moins d’un quart en l’an 2000. Une tendance encore plus marquée à l’entrée au CAP en lycée professionnel, avec, aujourd’hui, plus d’une moitié d’élèves n’ayant jamais redoublé, alors qu’au début des années 2000, aucun d’entre eux, ou presque, n’était « à l’heure ».
Cette réduction massive des taux de redoublement s’est traduite, comme l’attendaient ceux qui considéraient ces redoublements comme contreproductifs, par une augmentation des taux de réussite aux examens. Pour le baccalauréat général, ce taux, de 79,5 % à l’an 2000, s’est en effet élevé jusqu’à atteindre aujourd’hui 96 %. Et pour le baccalauréat technologique, il était de 80 % et il approche désormais de 90%. La donnée la plus riche d’information est celle relative au baccalauréat professionnel qui, en dépit de la réduction de sa durée de préparation de quatre à trois ans – en 2009 – réduction à laquelle il faut ajouter celle, d’une année, liée à la réduction des taux de redoublement, a vu néanmoins son taux de réussite en hausse, de 79,1 à 82,2 %. Malgré deux années de formation en moins, ces bacheliers seraient ainsi meilleurs, si l’on considère cette seule progression, que leurs prédécesseurs ? On note des « progrès » tout aussi sensibles au niveau du CAP, où le taux de réussite monte de dix points, d’environ 75 à 85 %.
Il faut pourtant porter son regard à l’arrière du décor. Au niveau tout d’abord des sortants du Collège, où, depuis l’an 2000, suivant les enquêtes PISA, la proportion d’élèves en très grande difficulté s’est accrue dans de considérables proportions, de 15,2 à 26,3 % en compréhension de l’écrit et de 16,6 à 28,8 % pour les mathématiques. Ces élèves en grandes difficultés, vont préparer un CAP et ou un baccalauréat professionnel. Dans ces conditions, quelle réalité recouvre l’ « amélioration » de leur taux de réussite à ces examens alors qu’ils rencontrent d’immenses difficultés à trouver un emploi, et plus encore un emploi du niveau que leurs diplômes devraient leur permettre d’atteindre, puisqu’ils n’ont plus les compétences qu’avaient leurs prédécesseurs ? Sauf à prolonger d’une ou mieux encore de deux années leur formation, au-delà de ce premier diplôme. Ce que font la moitié d’entre eux.
Si le taux de réussite au baccalauréat général flirte ainsi avec les 100 %, les années « gagnées » dans l’enseignement secondaire se perdent au cours des années qui suivent, où les taux de redoublement et d’abandon sont massifs. On peut en mesurer l’amplitude en comparant le nombre d’inscrits en licence générale et celui des diplômés. Rappelons que la licence nécessite normalement trois années d’études. Le nombre de licences attribuées chaque année étant voisin de 140 000, il devrait y avoir, en l’absence d’abandons en cours de route et de redoublements trois fois plus d’inscrits que de diplômés, soit 420 000. Il y en a en réalité 715 000, comme s’il fallait cinq années d’études (5 x 140 000 = 700 000), et non pas trois pour obtenir la licence.
Les redoublements ne constituaient qu’un symptôme. Les faire disparaître artificiellement a été indéniablement contre-productif, mettant plus encore en échec les élèves en difficulté. Il eût fallu investir pour élever le niveau de compétences et éviter en conséquence les redoublements, plutôt que d’emprunter, les yeux fermés, le chemin des faux-semblants et d’avoir foi en ce qui n’était qu’une fable de Noël.